Pour des millions d’enfants français, le mois de novembre n’était pas gris. Il était synonyme d’une attente fébrile, celle de l’arrivée du catalogue de jouets. Bien avant Internet et les listes de souhaits numériques, ce pavé de papier glacé était le portail officiel vers la magie de Noël. Il arrivait dans les boîtes aux lettres, distribué par La Redoute, les 3 Suisses, Manufrance. Ou encore il attendait sagement au BHV et aux Galeries Lafayette. Plus qu’un simple outil de vente, le catalogue de jouets vintage des années 60 aux années 80 était un objet culturel. Un miroir sociologique et une fabrique à rêves méthodiquement organisée.
Plonger aujourd’hui dans ces catalogues, c’est redécouvrir une époque où le désir se construisait sur plusieurs semaines. Une époque où chaque page tournée était une négociation et où le plastique moulé devenait un trésor.
L’objet catalogue : une révolution dans la boîte aux lettres
Avant les années 60, l’achat de jouets était souvent l’affaire des grands magasins urbains ou des bazars de quartier. L’arrivée en force de la vente par correspondance (VPC) a tout changé. Des géants comme La Redoute ou les 3 Suisses ont compris qu’ils pouvaient toucher la France entière, y compris les zones rurales, en proposant un inventaire exhaustif.
Le catalogue de jouets est devenu un événement en soi. Il était épais, souvent plus de 100 pages dédiées exclusivement aux enfants. Le tout avec une couverture en couleur vif qui tranchait avec le reste du courrier. Sa conception n’était pas laissée au hasard. Les premières pages étaient souvent dédiées aux jouets « vedettes », ceux qui bénéficiaient d’un matraquage publicitaire à la télévision naissante.
La qualité du papier s’est améliorée au fil des ans. Dans les années 60, les photos étaient parfois encore en noir et blanc à l’intérieur, avec quelques planches couleur. Dans les années 70, la couleur a explosé. Une technique qui rendait les boîtes de Lego et les robes de Barbie plus désirables que jamais. La mise en page était dense, optimisée pour montrer un maximum de produits. C’était un inventaire à la Prévert où une panoplie de Zorro pouvait côtoyer une cuisinière miniature.
Une mise en scène sociologique
Le plus fascinant, en feuilletant un catalogue de jouets vintage, c’est de constater à quel point il était normé. La segmentation était implacable et reflétait parfaitement la société de l’époque.
Les pages « Filles » : le rose et l’apprentissage du foyer
Les premières pages dédiées aux filles étaient presque exclusivement roses. Elles mettaient en scène le triptyque de la future femme au foyer :
- La poupée et le poupon : L’instinct maternel était au cœur du jeu. Les poupées (Clodrey, Bella) étaient vendues avec des trousseaux complets, des landaus et des biberons « magiques ».
- La dinette et la cuisine : Les cuisinières miniatures, les machines à laver (qui fonctionnaient parfois avec de l’eau) et les services à thé préparaient les filles à leurs futures tâches domestiques.
- Le rêve et la beauté : L’arrivée de Barbie, importée à la fin des années 60, a introduit une dimension de mode et de carrière (Barbie hôtesse de l’air, Barbie vétérinaire), mais elle restait dans un univers très féminin, accompagnée de ses « Mallettes Beauté ».
Les pages « Garçons » : le bleu, l’action et la construction
Le contraste était saisissant. Les pages garçons étaient dominées par le bleu, le rouge et les thématiques de l’aventure.
- La construction : Lego (encore non genré à ses débuts, mais vite marketé pour les garçons), Meccano et les circuits de voitures électriques (Scalextric, Jouef) valorisaient la compétence technique et l’ingénierie.
- L’action et le conflit : Les figurines G.I. Joe (appelé Action Joe en France), les panoplies de cow-boys et d’Indiens, puis plus tard les premiers vaisseaux Goldorak, mettaient l’accent sur l’héroïsme, l’exploration et le combat.
- Le garage : Les petites voitures (Majorette, Dinky Toys, Norev) étaient une collection incontournable, rangées dans des garages en plastique sur plusieurs niveaux.
Cette division stricte a perduré jusque tard dans les années 80, avant de commencer à s’estomper très lentement. Le catalogue n’inventait pas ces normes, mais il les renforçait puissamment en les présentant comme un ordre naturel.
Le catalogue comme outil de désir : la naissance du « jouet star »
Les années 70 et 80 ont vu l’apogée du marketing de jouets, en synergie parfaite avec la télévision. Le catalogue était le deuxième étage de la fusée, après le spot publicitaire diffusé pendant les programmes jeunesse (comme « Récré A2 » ou « Croque-Vacances »).
Un jouet vu à la télévision devenait réel et tangible dans le catalogue. L’enfant pouvait le « posséder » une première fois en le regardant sur le papier. Certains jouets sont devenus des phénomènes grâce à cette double présence.
- Le « Kiki » (Monchhichi) : Lancé dans les années 70, sa bouille adorable et sa texture douce en faisaient un incontournable des pages « peluches ».
- Goldorak (années 70) : Le robot géant bénéficiait souvent d’une double page, montrant la figurine articulée, le vaisseau et la panoplie.
- La « Dictée Magique » (fin 70) : À la croisée des genres, ce jouet électronique éducatif fut une révolution, souvent placé en page d’honneur.
- Les Maîtres de l’Univers (années 80) : Musclor et Skeletor ont envahi les catalogues avec leurs figurines et leurs châteaux, créant une nouvelle mythologie.
Le catalogue gérait aussi la frustration. Les jouets les plus chers, comme le circuit 24 ou le château fort complet, étaient souvent placés en majesté, tout en sachant qu’ils resteraient inaccessibles pour beaucoup. Ils servaient de « produit rêve », tirant vers le haut le reste de la gamme.
L’art de la liste : négocier avec le Père Noël
Le rituel de novembre ne s’arrêtait pas à la simple lecture. Le catalogue devenait un outil de travail pour l’enfant. C’était le moment de la fameuse « liste au Père Noël ».
Les méthodes variaient :
- Le découpage : La méthode la plus radicale. L’enfant découpait la photo du jouet convoité pour la coller sur sa lettre. Malheur aux frères et sœurs qui voulaient le même catalogue !
- L’encerclement : Plus civilisée, cette technique consistait à entourer au stylo bille (ou au feutre rouge pour plus d’emphase) les jouets désirés.
- Les « cornes » : Plier le coin de la page était un signe discret mais efficace pour marquer son intérêt.
Ces catalogues portent encore les stigmates de ces négociations. Retrouver un catalogue d’époque, c’est souvent retrouver ces traces d’écriture enfantine, ces croix maladroites ou ces pages arrachées. C’est ce qui en fait aujourd’hui des objets de collection si touchants. Les parents, de leur côté, utilisaient le catalogue pour budgétiser. La référence produit (le fameux « code article ») était cruciale pour remplir le bon de commande papier, à envoyer par la poste avec un chèque.
Le catalogue de jouets aujourd’hui : une madeleine de Proust pour collectionneurs
Pourquoi un tel engouement pour ces vieux papiers aujourd’hui ? Le catalogue de jouets vintage est un concentré de nostalgie. Pour le collectionneur de jouets (qu’il chasse les Barbie, les Dinky Toys ou les Action Joe), le catalogue est un outil de référence inestimable.
Il permet de :
- Dater une collection : Identifier précisément l’année de sortie d’un jouet ou d’un accessoire.
- Vérifier l’exhaustivité : Savoir si une boîte est complète, quels accessoires étaient inclus.
- Comprendre le contexte : Voir quel était le prix d’origine d’un jouet (souvent en Francs) et le comparer au salaire moyen de l’époque donne une perspective fascinante.
Mais au-delà de l’aspect pratique, le catalogue est un « shot » de nostalgie pure. Le simple fait de revoir la mise en page, la typographie si particulière des années 70, ou une photo de « l’Arbre Magique » Vulli, suffit à raviver des souvenirs d’enfance précis. C’est un portail vers une époque où le bonheur tenait dans 150 pages de papier glacé attendues tout le mois de novembre.
Foire aux questions (FAQ) sur le catalogue de jouets vintage
Q : Quels étaient les catalogues de jouets les plus populaires en France ?
R : Les plus emblématiques étaient sans conteste ceux des grands vépécistes. En particulier La Redoute, les 3 Suisses et Manufrance (très populaire dans les années 60-70). Les grands magasins parisiens comme Le Bon Marché, les Galeries Lafayette, Le Printemps ou le BHV publiaient aussi leurs propres catalogues. Ces derniers étaient souvent distribués en magasin.
Q : Comment reconnaître un catalogue de jouets « vintage » de valeur ?
R : La valeur dépend de plusieurs facteurs. L’année (ceux des années 60 sont plus rares que ceux des années 80), l’état de conservation (un catalogue sans découpes, sans gribouillis et avec sa couverture intacte est plus recherché) et les jouets présentés. Des collectionneurs spécialisés rechercheront notamment un catalogue avec la première Barbie en France ou les premiers G.I. commercialisés dans le pays.
Encore à savoir sur les catalogues de jouets vintage
Q : Les jouets étaient-ils vraiment si genrés à l’époque ?
R : Oui, de manière extrêmement marquée. La division « pages filles » (poupées, dinettes) et « pages garçons » (voitures, trains, construction) était la norme absolue. Les quelques pages « unisexes » étaient souvent dédiées aux jeux de société (Monopoly, 1000 Bornes) ou aux jouets éducatifs, mais la mise en scène (les enfants photographiés) rappelait souvent cette division.
Q : Comment puis-je retrouver d’anciens catalogues de jouets ?
R : Les brocantes et les vide-greniers sont un bon point de départ, mais ils y sont rares. Les sites de vente en ligne (comme eBay, Leboncoin ou Delcampe, spécialisé dans les vieux papiers) sont la source la plus fiable. Tapez « catalogue jouets » suivi de l’année et de la marque (ex: « catalogue 3 suisses 1978 »). Les prix peuvent varier de quelques euros à plus de 50 euros pour une pièce rare et en bon état.
Q : Y avait-il des jouets « made in France » mis en avant ?
R : Absolument. Les catalogues des années 60 et 70 faisaient la part belle aux marques françaises. On y trouvait en bonne place les poupées Bella ou Clodrey, les voitures Norev (fabriquées près de Lyon), les circuits Jouef, ou encore les jeux de construction comme Meccano (devenu français après avoir été anglais). C’était un reflet de l’industrie française du jouet, alors très puissante.
