Novembre arrive. Le thermomètre chute. Aujourd’hui, un geste sur un thermostat ou une application mobile règle le problème. Mais replongeons-nous dans la France des Trente Glorieuses. L’hiver vintage des années 50 et 60 n’est pas une simple carte postale nostalgique. C’est une réalité physique, une lutte quotidienne contre un froid pénétrant, à la fois à l’intérieur de la maison et à l’extérieur. Le confort moderne n’est alors qu’une promesse lointaine pour la majorité des Français.
Cette époque est celle d’une transition fascinante. On quitte doucement le monde ancien du charbon et du bois, sans pour autant avoir adopté le chauffage centralisé et l’isolation performante. La bataille contre le froid se menait sur deux fronts : le foyer et le corps. Chez Nos Années Vintage, nous allons enfiler nos charentaises et notre tricot de corps pour explorer comment nos aînés affrontaient les rigueurs de l’hiver.
La maison : le règne du poêle et la dictature du charbon
Dans la France d’après-guerre, une pièce est reine : la cuisine ou la salle commune. Pourquoi ? C’est la seule qui est chauffée en permanence. Le cœur battant de la maison n’est pas la télévision, encore rare, mais le poêle. C’est un meuble, un totem, un monstre de fonte qu’il faut nourrir.
Le poêle Godin, souvent émaillé de couleurs vives (brun, vert) ou d’un noir profond, trône en maître. Il fonctionne au bois, mais plus souvent au charbon. Le rituel du chauffage est immuable. Chaque matin, il faut « décrasser » la grille, vider le tiroir à cendres dans un seau en métal, et recharger la bête. Le charbon, ce sont les « boulets » ou les « anthracites » que l’on stocke à la cave ou dans une souillarde.
Cette dépendance au charbon façonne le paysage urbain et social. Le « bougnat », cet immigré auvergnat vendant « bois et charbons », est une figure clé du quartier. Il livre par sacs de 50 kg, transportés à dos d’homme, qui laissent une fine poussière noire partout dans l’escalier. L’odeur du charbon qui brûle, ce mélange de soufre et de fumée, est l’odeur même de l’hiver en ville.
Le froid aux trousses : l’inconfort comme norme
Le poêle ne chauffe qu’une seule pièce. Le reste de la maison est glacial. C’est une vérité simple que nous avons oubliée. Les chambres sont des glacières. Dans les années 50, il n’est pas rare de voir du givre se former… à l’intérieur des fenêtres. Les enfants dessinent sur ces arabesques de glace qui tapissent le simple vitrage. Le matin, le laitier dépose la bouteille de lait en verre sur le paillasson. Si on l’oublie, la crème gelée pousse le bouchon d’aluminium hors du goulot.
Pour aller se coucher, c’est une expédition. On quitte la chaleur de la cuisine en courant. Le pyjama ou la chemise de nuit, souvent en pilou épais, ne suffit pas. Le lit est une banquise. C’est là qu’interviennent les accessoires de survie.
La « bouillotte » en caoutchouc rouge est indispensable. On la remplit d’eau bouillante, on la visse précieusement et on la glisse sous les draps une heure avant de se coucher pour « chauffer la place ». Pour les plus traditionnels, il y a encore la « bassinoire » en cuivre, ce long manche avec un réceptacle percé où l’on place des braises du poêle pour réchauffer les draps. Le danger de l’incendie n’est jamais loin.
L’arrivée du mazout : une révolution qui sent fort
Les années 60 voient arriver une petite révolution : le chauffage au mazout (fuel). On remplace le vieux poêle à charbon par un poêle à mazout, souvent de la marque De Dietrich ou Chappée. Il est alimenté par une « cuve » installée à la cave ou dans le jardin.
Le progrès est immense. Fini la corvée de cendres et le stockage des sacs. Le chauffage devient plus constant. Cependant, il apporte son lot de souvenirs sensoriels. L’odeur du mazout, grasse et persistante, est caractéristique. Lorsque le livreur remplit la cuve, une fragrance puissante envahit la maison pour la journée.
Le chauffage central, lui, reste un luxe. Il se développe dans les immeubles neufs de « grand standing » et les maisons bourgeoises. Pour l’immense majorité des Français, le chauffage reste localisé à une ou deux pièces. L’idée de se promener en t-shirt chez soi en hiver est une pure fantaisie.
S’habiller : l’art de la « pelure d’oignon »
Puisque la maison est froide, le premier réflexe est de s’habiller chaudement… à l’intérieur. On ne quitte jamais sa « robe de chambre » (peignoir) ou son « chauffe-cœur » (un petit gilet de laine). Aux pieds, les reines sont les charentaises, ces pantoufles en feutre fourré.
Pour sortir, la stratégie est celle de la « pelure d’oignon ». On multiplie les couches. L’ennemi, c’est l’humidité. La clé est la laine.
Au plus près du corps, c’est le « corps de chauffe » ou « tricot de peau ». Il s’agit d’un sous-vêtement en laine, souvent rêche, qui gratte mais tient chaud. Pour les hommes, le « caleçon long » (ou « long john ») est fréquent sous le pantalon de travail. Les femmes, elles, sont confrontées au dilemme de l’élégance. Les bas de nylon, qui se généralisent dans les années 50, sont une catastrophe thermique. Ils sont glacials. Pour avoir chaud, il faut porter des bas de laine ou de coton épais, jugés moins séduisants.
La révolution Damart et le manteau-armure
En 1953, une révolution textile a lieu à Roubaix. Les frères Despature inventent le « Thermolactyl », une fibre synthétique qui promet une « chaleur active » en évacuant l’humidité. La marque Damart est née. Ses sous-vêtements (chemisettes, caleçons) deviennent le Graal pour les frileux. Les publicités vantent ce tissu miracle, et il devient un incontournable des hivers des années 60.
Par-dessus cet attirail, on enfile la couche finale : le manteau. Les manteaux d’hiver vintage des années 50 et 60 sont lourds. Il n’y a pas de doudoune légère ou de tissu technique. On utilise des matières nobles et denses. Pour les hommes, c’est le « pardessus » en drap de laine épais, souvent sombre (gris, noir, marine), long et croisé. Pour les femmes, le manteau est aussi en lainage lourd ou en tweed. Il est souvent cintré, avec de grands cols pour protéger le cou.
Les accessoires sont cruciaux. Personne ne sort sans un chapeau (le fedora est encore courant chez les hommes) ou un béret. Les gants sont en cuir fourré ou en laine tricotée. L’écharpe est omniprésente. Aux pieds, pour affronter la pluie et la neige fondue, on porte des « galoches ». Ce sont des couvre-chaussures en caoutchouc que l’on enfile par-dessus ses chaussures de ville en cuir pour les protéger et ne pas glisser.
Voiture vintage et conduite en hiver dans les années 50
La vie de l’automobiliste est un défi. La voiture dort dehors. Le matin, il faut gratter le givre à l’extérieur, mais aussi souvent à l’intérieur ! Le chauffage des voitures (sur les 4CV ou 2CV) est anecdotique. On conduit avec son manteau, ses gants et sa buée.
L’hiver vintage des années 50 était une épreuve. Il dictait les rythmes de vie, les sociabilités (on se regroupait dans la seule pièce chaude) et les tenues. Cet inconfort, accepté comme une fatalité, a forgé des générations et stimulé l’ingéniosité. Collectionner une vieille publicité Damart ou une bouillotte en caoutchouc, c’est préserver le souvenir de ce combat quotidien contre un froid que nous avons, aujourd’hui, réussi à dompter.
Foire aux questions (FAQ) sur l’hiver vintage des années 50
Q : Qu’était exactement un « bougnat » ?
R : Le « bougnat » est un terme familier désignant les immigrés originaires d’Auvergne (et plus tard d’Aveyron ou de Lozère) installés à Paris. Dès le 19e siècle, ils ont tenu des commerces de « bois et charbons ». Beaucoup ont diversifié leur activité en ajoutant un comptoir pour servir du vin et des limonades, devenant les fameux « cafés-charbons », ancêtres de nombreux bistrots parisiens.
Q : Le chauffage central était-il totalement absent dans les années 50 ?
R : Non, il n’était pas absent, mais il était rare et réservé à une élite ou aux immeubles neufs de grand standing construits après-guerre. Dans les appartements haussmanniens, par exemple, le chauffage était souvent encore assuré par des cheminées dans chaque pièce (peu efficaces) ou des poêles à charbon individuels. La démocratisation du chauffage central collectif au gaz ou au fioul se fera surtout dans les années 60 et 70.
Q : Qu’est-ce que le « pilou » dont on parle pour les pyjamas ?
R : Le « pilou » (ou pilou-pilou) est un tissu de coton chaud, doux et légèrement duveteux, obtenu par un processus de grattage de la fibre. Il était le tissu roi des pyjamas, des chemises de nuit et des robes de chambre d’hiver avant l’avènement des fibres polaires modernes. Il offrait un excellent compromis entre chaleur et confort sur la peau.
Encore à savoir sur l’hiver dans les années 50 et le vintage
Q : Comment les gens lavaient-ils tous ces vêtements en laine ?
R : C’était une tâche ardue. La machine à laver automatique n’étant pas encore répandue (le lave-linge à pâles ou « lessiveuse » se démocratise à peine), le lavage se faisait souvent à la main, dans une bassine ou un lavoir. On utilisait des savons doux (type savon de Marseille) et de l’eau tiède ou froide pour éviter de « feutrer » la laine. L’essorage était manuel et le séchage se faisait à plat, loin du poêle pour ne pas déformer le vêtement, ce qui pouvait prendre des jours en hiver.
Q : La « semaine blanche » à l’école existait-elle à cette époque ?
R : Oui, c’est justement à cette époque que les « classes de neige » se développent ! Initiées dans les années 50, elles prennent leur essor dans les années 60. L’idée était d’envoyer les enfants des villes à la montagne pendant plusieurs semaines pour leur faire découvrir les sports d’hiver et leur offrir un bol d’air frais, souvent dans un but sanitaire (lutter contre la tuberculose, encore présente).
