Mémoire du 11 novembre et objets du passé

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Le 11 novembre est aujourd’hui une commémoration solennelle, un jour férié où l’on se souvient d’un conflit devenu historique. Mais pour la France de l’entre-deux-guerres et celle de l’immédiat après-Seconde Guerre mondiale, ce n’était pas de l’histoire. C’était la vie. C’était la « Der des Ders », un traumatisme si profond qu’il avait laissé une marque indélébile non seulement dans les esprits, mais aussi sur les murs, dans les tiroirs et sur les places de chaque village. La mémoire du 11 novembre, celle des années 1920 à 1950, n’est pas une mémoire abstraite. Elle est tangible, matérielle. C’est une mémoire que l’on pouvait toucher, épousseter et regarder avec une fierté mêlée d’une douleur infinie. Les objets n’étaient pas de simples souvenirs ; ils étaient les gardiens du deuil et de la gloire.

Le monument aux morts : l’épicentre public du souvenir

Le premier objet, le plus visible, est architectural. Dès 1919, la France se couvre de monuments aux morts. Plus de 36 000 communes érigent le leur. C’est une frénésie de construction unique au monde, une nécessité civique et morale. Ce monument devient instantanément le nouveau centre du village, parfois plus important que la mairie ou l’église.

Son esthétique, que nous trouvons « vintage », était alors un langage moderne.

  • Le Poilu : La figure la plus commune. Il est représenté victorieux, le fusil haut, ou au contraire las, l’arme au pied, « ne m’oubliez pas ». C’est le « Poilu » de Coignard ou le « Poilu » de Prouvé.
  • L’allégorie : La Victoire ailée, Marianne couronnant les soldats, ou la « Pleureuse », cette femme en deuil qui symbolise la douleur de la nation (et de la veuve).
  • Le coq gaulois : Symbole de la France combative, il est souvent perché sur un obus ou une colonne, chantant la victoire.

Chaque 11 novembre, la vie s’arrête. Le rituel est immuable. Le maire, l’instituteur, les enfants des écoles et les anciens combattants se rassemblent devant cette pierre. On lit les noms gravés. Ces noms ne sont pas anonymes ; ce sont les fils, les frères, les maris du village. Le monument n’est pas une simple statue, c’est un registre d’état civil de la mort. La gerbe de fleurs tricolore que l’on dépose est l’objet central de ce rituel public.

L’autel domestique : les objets du deuil dans le salon

Si le monument est le souvenir collectif, la maison, elle, abrite le souvenir intime. Dans les années 20 et 30, presque chaque « salle à manger » ou « salle commune » possède son « autel » dédié. Il est souvent placé sur le buffet Henri II ou sur la cheminée.

Le portrait du disparu L’objet central est la photographie. C’est le portrait du soldat, en uniforme, pris avant le départ ou lors d’une permission. Il est presque toujours dans un cadre ovale ou rectangulaire, en bois sombre ou en stuc doré. Parfois, il est entouré d’un drapeau tricolore miniature ou d’une branche de laurier séchée. Cette photo fige le disparu dans sa jeunesse éternelle.

Le diplôme d’ancien combattant Pour ceux qui sont revenus, ou pour la famille des « Morts pour la France », le diplôme est un objet de fierté. Le « Diplôme de la Médaille Militaire », la « Croix de Guerre » ou le « Diplôme d’Ancien Combattant » sont de véritables œuvres graphiques. Ils sont richement illustrés d’allégories, de drapeaux, de scènes de bataille et de Marianne. On ne les range pas. On les encadre et on les accroche au mur. Ils certifient le sacrifice, ils prouvent que « l’on y était ».

La « gloire » et les médailles Les collectionneurs connaissent bien ces cadres-boîtiers spécifiques, parfois appelés « gloires ». Ils combinent sous un même verre bombé la photographie du soldat, ses médailles (Croix de Guerre 1914-1918, Médaille de Verdun, Médaille interalliée) et parfois une petite plaque gravée avec ses dates. C’est un reliquaire laïc. Les médailles, avec leurs rubans colorés, ne sont pas de simples décorations. Elles sont le récit tactile des batailles et de la bravoure.

L’artisanat de tranchée : quand la guerre s’invite sur la table

Un aspect fascinant de cette mémoire matérielle est « l’artisanat de tranchée ». Pendant les longues heures d’attente et d’ennui dans les tranchées, les soldats ont transformé les débris de la guerre en objets d’art populaire.

La « douille d’obus » est la pièce maîtresse. Les soldats martelaient, gravaient et sculptaient ces lourds cylindres de laiton. Ils devenaient des vases, des pieds de lampe ou des pots à tabac. Les motifs étaient souvent floraux (des roses, des marguerites) ou patriotiques (RF, drapeaux). Posséder un de ces vases chez soi, c’est avoir un morceau du champ de bataille, mais un morceau pacifié, domestiqué.

On trouve aussi les « briquets » fabriqués à partir de balles, les coupe-papiers en forme de baïonnette miniature, ou des bagues taillées dans l’aluminium des fusées d’obus. Ces objets, rapportés par les survivants en 1918, ont vécu dans les maisons pendant des décennies. Ils rappelaient que la guerre avait été une expérience manuelle, une confrontation avec la matière (la boue, le métal).

Le bleuet de France : le petit symbole d’une grande dette

La mémoire du 11 novembre vintage a aussi son symbole floral. Si les Britanniques ont le « Poppy » (coquelicot), la France a le « Bleuet ». Cette fleur, dont la couleur rappelle l’uniforme bleu horizon des « Poilus » et qui continuait de pousser dans la boue des tranchées, devient un emblème.

L’initiative naît en 1925. Deux infirmières à l’Institution Nationale des Invalides décident de créer un atelier pour les « gueules cassées ». Elles leur font fabriquer de petits bleuets en tissu pour les vendre. L’argent récolté sert à aider ces hommes mutilés à se réinsérer.

Très vite, la vente du bleuet est associée au 11 novembre. Dans les années 30 et 40, des milliers de bénévoles, souvent des veuves ou des orphelins de guerre, vendent cette petite fleur de tissu ou de papier à la boutonnière des passants. Porter le bleuet le 11 novembre n’est pas seulement un acte de mémoire, c’est un geste de solidarité active envers les survivants. Ces petits bleuets vintage en tissu, avec leur épingle, sont aujourd’hui des objets de collection touchants.

L’évolution de la mémoire : du deuil à l’héroïsme

Entre 1920 et 1950, la perception de cette mémoire évolue. Les années 20 sont celles du deuil de masse. Les objets sont des reliques, le souvenir est une plaie ouverte. Le 11 novembre est une journée de larmes.

Les années 30 voient monter une autre génération. Le souvenir est plus politique. Les associations d’anciens combattants (les « Poilus ») deviennent une force morale et politique immense. Le 11 novembre devient le jour de leurs défilés, bannières en tête. Ils portent fièrement leurs médailles sur leurs costumes civils.

L’arrivée de la Seconde Guerre mondiale change tout. Le 11 novembre 1940, la manifestation étudiante sur les Champs-Élysées défie l’occupant allemand en allant déposer une gerbe sur la tombe du Soldat Inconnu. La mémoire de 14-18 devient un acte de Résistance.

Après 1945, la mémoire de 14-18 se mêle à celle de 39-45. Les « anciens combattants » des deux guerres défilent ensemble. Mais les objets de 14-18 gardent leur prééminence, car ils symbolisent le sacrifice originel, celui qui avait coûté 1,4 million de vies françaises. Ces objets sont devenus les fondations de notre mémoire collective.


Foire aux questions (FAQ) autour de la mémoire du 11 novembre

Q : Pourquoi tant de monuments aux morts ont-ils un coq gaulois ?

R : Le coq gaulois est un symbole français très ancien. Cependant, on l’a massivement réutilisé après 1870 et surtout après 1918. Il symbolise la fierté, la vigilance et le combat. Surtout, contrairement à l’aigle allemand, il est perçu comme un animal de ferme, un symbole du peuple et de la terre de France, ce qui correspondait parfaitement à l’image du « Poilu », ce soldat-paysan.

Q : Comment différencier un vrai vase en douille d’obus « artisanat de tranchée » d’une copie ?

R : C’est un défi pour les collectionneurs. Les vrais objets d’artisanat de tranchée sont souvent imparfaits. Le martelage est manuel (on peut voir les coups), les gravures sont parfois naïves. Les douilles portent des inscriptions d’usine à leur base (le culot) indiquant le calibre, l’année et le fabricant. Les copies modernes sont souvent plus légères, la gravure est trop parfaite (parfois faite au laser) ou le laiton semble trop neuf.

Vintage : encore à savoir sur la mémoire du 11 novembre

Q : Quelle est la différence entre le bleuet français et le coquelicot (poppy) britannique ?

R : Les deux sont des fleurs des champs de bataille et servent à récolter des fonds pour les vétérans. Les pays du Commonwealth (Royaume-Uni, Canada, Australie) ont adopté le coquelicot en référence au poème « In Flanders Fields » du Canadien John McCrae. Le bleuet est spécifiquement français, choisi pour sa couleur rappelant l’uniforme « Bleu Horizon » et sa symbolique de fleur qui survit au chaos.

Q : Que faire si je trouve des médailles ou des diplômes d’un ancêtre ?

R : Ces objets ont une valeur historique et familiale immense. S’il n’y a pas d’héritier direct intéressé, on déconseille toutefois de les jeter. Les archives départementales, les musées d’histoire locale ou le Musée de la Grande Guerre (à Meaux) peuvent être intéressés par des dons pour préserver cette mémoire matérielle. Pour une conservation à la maison, évitez l’humidité et la lumière directe du soleil, qui abîme les rubans et le papier.