Si la philatélie est le miroir de l’Histoire, alors les timbres à l’effigie de Napoléon III en sont l’une des illustrations les plus spectaculaires. Pour l’amateur de vintage et d’histoire postale, cette série est bien plus qu’une simple collection. Elle raconte, étape par étape, la métamorphose politique de la France au milieu du XIXe siècle : la mort lente de la Seconde République et l’avènement du Second Empire. Nous quittons Cérès, l’allégorie républicaine, pour le portrait bien réel d’un homme au pouvoir. C’est une histoire de prestige, de pouvoir, mais aussi d’innovations techniques qui ont façonné le quotidien de nos aïeux.
- Le contexte : la République cède le pas au Prince-Président
- 1852 : le type "Présidence", l'effigie remplace l'allégorie
- 1853-1860 : le type "Empire" non dentelé, l'affirmation du pouvoir
- 1862-1870 : l'Empire lauré et la révolution de la dentelure
- Collectionner les Napoléon III : trésors et têtes-bêches
- ❓ Foire aux questions (FAQ) sur les timbres Napoléon III
Le contexte : la République cède le pas au Prince-Président
L’histoire commence en 1848. La France vient de vivre une révolution. La Monarchie de Juillet est tombée, la IIe République est proclamée. Dans la foulée, la France adopte sa première réforme postale majeure et émet ses premiers timbres : les célèbres « Cérès », du nom de la déesse des moissons, symbole d’une République fertile et apaisée.
Mais cette République est fragile. Le 10 décembre 1848, un homme est élu triomphalement Président de la République au suffrage universel : Louis-Napoléon Bonaparte, le neveu du grand Empereur. Son nom seul est un programme. Pendant trois ans, le Président et l’Assemblée se livrent une guerre politique. Louis-Napoléon, habilement, prépare son retour au pouvoir personnel.
Le 2 décembre 1851, date anniversaire du sacre de son oncle, il réussit son coup d’État. L’Assemblée est dissoute. Un an plus tard, jour pour jour, le 2 décembre 1852, l’Empire est proclamé. Le Prince-Président devient l’Empereur Napoléon III. Cette ascension fulgurante, de 1848 à 1852, va se graver directement sur les timbres-poste.
1852 : le type « Présidence », l’effigie remplace l’allégorie
Dès le 3 janvier 1852, quelques semaines seulement après son coup d’État, Louis-Napoléon Bonaparte, encore officiellement « Président », prend une décision hautement symbolique. Une loi prescrit le remplacement de l’effigie de Cérès sur les timbres par son propre portrait. C’est une rupture totale avec la tradition républicaine et un acte d’affirmation du pouvoir personnel. Il devient la première personnalité politique française à figurer de son vivant sur un timbre.
On va confier la réalisation au Graveur général des monnaies, Jacques-Jean Barre. Ce dernier reprend le cadre général qu’il avait déjà créé pour Cérès, mais y insère le profil gauche de Louis-Napoléon.
Cette première émission, dite « type Présidence », est capitale :
- L’effigie : Elle montre un homme jeune, au visage glabre (sans barbe), le regard tourné vers l’avenir.
- La légende : L’inscription est encore républicaine. Elle porte la mention « REPUB FRANC ». C’est toute l’ambiguïté de l’époque : un portrait quasi-monarchique dans un cadre encore républicain.
- Les valeurs : Seules deux valeurs seront émises en urgence : le 25 centimes bleu (pour la lettre simple) et le 10 centimes bistre (pour le tarif local).
- La forme : Comme les Cérès, ces timbres sont non dentelés. À la poste comme à la maison, il faut utiliser une paire de ciseaux pour les détacher de la feuille, un geste si courant à l’époque et si étranger pour nous aujourd’hui.
L’émission du 10c bistre, en décembre 1852, est particulièrement ironique. On le sort des presses alors même que l’Empire vient d’être proclamé. Le timbre porte la mention « REPUB FRANC » mais le Président est déjà devenu Empereur. Ces timbres deviennent donc instantanément obsolètes.
1853-1860 : le type « Empire » non dentelé, l’affirmation du pouvoir
Le nouvel Empereur Napoléon III ne peut tolérer cette contradiction. Il faut que les timbres reflètent la nouvelle réalité politique. On ne change pas l’effigie (le portrait reste le même, glabre), mais on modifie le poinçon original de Barre.
C’est la naissance du « type Empire ». La modification est simple mais lourde de sens. En effet, la légende « REPUB FRANC » est effacée et remplacée par « EMPIRE FRANC ». La République a vécu, vive l’Empire.
Cette série va devenir la plus emblématique du Second Empire.
- Le 20 centimes noir : C’est le timbre star de l’époque. Émis en 1853, il correspond au nouveau tarif de la lettre simple (réduit de 25c à 20c pour encourager l’usage du timbre). On va l’imprimer tout simplement à plus d’un milliard d’exemplaires ! Cependant, les critiquent fusent à propos de sa couleur noire, si caractéristique, car elle masque l’oblitération.
- Le 20 centimes bleu : En 1854, le 20c noir est donc remplacé par le 20 centimes bleu. C’est ce timbre qui affranchira la majorité du courrier des Français pendant près d’une décennie.
- Les autres valeurs : La série se complète avec le 10c bistre, le 40c orange (lettre pour l’étranger) et le fameux 1 franc carmin, un timbre rare et précieux, car peu de gens envoyaient des courriers aussi lourds ou lointains.
Ces timbres sont toujours non dentelés. On les a imprimé sur différents papiers, parfois teintés dans la masse, ce qui donne lieu à d’infinies nuances (bleu sur azuré, bleu sur blanc…) qui font aujourd’hui le bonheur des philatélistes experts.
1862-1870 : l’Empire lauré et la révolution de la dentelure
Le Second Empire est à son apogée. Après la victoire de la campagne d’Italie (Magenta, Solférino), Napoléon III veut marquer sa puissance. Il décide de modifier son effigie sur les monnaies et les timbres.
Le graveur Jacques-Jean Barre étant décédé, c’est son fils, Désiré-Albert Barre, qui prend la relève.
- La nouvelle effigie : Le profil de l’Empereur est toujours tourné vers la gauche, mais il est désormais « lauré ». Il porte une couronne de lauriers, tel un César romain, symbole de victoire et de pouvoir impérial absolu. On remarque aussi l’apparition d’une petite barbe et d’une moustache, suivant la mode de l’époque.
- La grande innovation : C’est la fin des ciseaux ! En 1862, la Poste française adopte enfin la dentelure. Cette invention anglaise (datant de 1854) consiste à perforer les feuilles de timbres pour permettre une séparation facile et nette. Le premier timbre dentelé français est le 1 centime olive. Toutes les nouvelles émissions « Empire Lauré » (le 20c bleu, le 40c orange, etc.) seront désormais dentelées.
Cette innovation change la vie quotidienne. Elle accélère le travail dans les bureaux de poste et facilite l’usage domestique. C’est la naissance du timbre tel que nous le connaissons. On utilisera cette série jusqu’à la chute de l’Empereur en 1870, lors de la guerre contre la Prusse.
Collectionner les Napoléon III : trésors et têtes-bêches
Pour les collectionneurs, les émissions Napoléon III sont un terrain de jeu d’une richesse incroyable.
- Les nuances : Les couleurs, mélangées artisanalement, varient énormément d’un tirage à l’autre. Le 20c bleu peut être ciel, laiteux, foncé… Le 1 franc carmin offre des nuances vermillon ou rose magnifiques.
- Les papiers : La qualité et la teinte du papier (blanc, jaunâtre, bleuté) sont des indices cruciaux pour dater un tirage.
- Les têtes-bêches : Le trésor absolu. Lors de la composition des planches d’impression, il arrivait qu’un cliché (la matrice d’un seul timbre) soit accidentellement placé à l’envers. Cela donne des paires de timbres où l’un est inversé par rapport à l’autre : une « paire tête-bêche ». Ces erreurs sont rarissimes et atteignent des sommes colossales en vente aux enchères. Des têtes-bêches existent sur plusieurs valeurs de la série Empire non dentelé (notamment le 80c rose ou le 1 franc carmin).
Les timbres de Napoléon III ne sont donc pas de simples vignettes. Ils sont le témoignage d’une France en pleine mutation, quittant une République idéalisée pour un Empire autoritaire et modernisateur. Chaque changement de légende, d’effigie ou de technique raconte un chapitre de cette histoire.
❓ Foire aux questions (FAQ) sur les timbres Napoléon III
Q : Qui a gravé les timbres Napoléon III ? R :
La gravure est une affaire de famille. Le père, Jacques-Jean Barre, a gravé les premiers types « Présidence » et « Empire non dentelé » (profil glabre). Son fils, Désiré-Albert Barre, a pris la relève et gravé le type « Empire lauré » (avec la couronne de lauriers et la barbe) à partir de 1862.
Q : Quelle est la différence facile entre le type « Présidence » et « Empire » ?
R : Regardez la légende ! Les deux ont le même portrait d’homme sans barbe. Mais le type « Présidence » (le plus ancien) porte l’inscription « REPUB FRANC » (pour République Française). Le type « Empire » (le plus courant) porte l’inscription « EMPIRE FRANC » (pour Empire Français).
Q : Pourquoi certains timbres Napoléon III n’ont-ils pas de dents ?
R : C’est parce qu’ils datent d’avant 1862. Les premiers timbres français (Cérès, Présidence, Empire non lauré) étaient « non dentelés ». L’invention de la perforation (dentelure) n’a été adoptée en France qu’en 1862. Avant cette date, on devait découper les timbres de la feuille aux ciseaux.
Q : Quel est le timbre Napoléon III le plus célèbre ?
R : Pour le grand public, c’est le 20 centimes bleu (non dentelé puis dentelé), car c’était le timbre de la lettre simple, le plus utilisé par des millions de Français. Pour les grands collectionneurs, les timbres les plus recherchés sont les valeurs faciales élevées (comme le 1 franc carmin ou le 5 francs violet-gris « Empire lauré ») et surtout les fameuses et rarissimes paires « tête-bêche ».
