Si l’on devait choisir une année pour illustrer le basculement des années 60 vers les années 70, ce serait sans aucun doute 1971. Oubliez les images en noir et blanc, l’insouciance du yé-yé et les jupes courtes. En 1971, la France a changé de visage et de couleur. C’est une année de paradoxes, où les rêves de croissance infinie commencent à se fissurer tandis que des combats sociaux d’une audace folle voient le jour. C’est l’année où le pantalon à pattes d’éléphant devient roi, où la musique se fait plus complexe et où les femmes lancent un pavé retentissant dans la mare d’une société encore très conservatrice. Bienvenue en 1971, l’année où la France est véritablement entrée dans les seventies. Lisez aussi notre article sur l’année 1970 en France.
La fin de l’insouciance, les premières fissures économiques
Depuis la fin de la guerre, la France vivait au rythme des « Trente Glorieuses ». Une période de croissance économique quasi ininterrompue, de plein emploi et de foi inébranlable dans le progrès technique et social. En 1971, cette belle mécanique commence à montrer ses premiers signes d’usure. L’inflation est une préoccupation grandissante. Mais c’est de l’autre côté de l’Atlantique que vient le véritable coup de semonce.
Le 15 août 1971, le président américain Richard Nixon annonce la suspension de la convertibilité du dollar en or. Pour le commun des mortels, ces mots semblent bien abstraits. Pourtant, leur impact est immense. C’est tout le système monétaire international, stable depuis 1944, qui vole en éclats. Cet événement, que l’on nommera le « choc Nixon », marque pour beaucoup d’historiens la fin symbolique des Trente Glorieuses. L’ère de l’argent facile et de la croissance à deux chiffres est terminée. Même si les Français ne ressentent pas immédiatement les effets dans leur quotidien, une certitude s’effrite : celle d’un avenir toujours meilleur. L’ombre de la crise et du chômage, qui marquera la décennie, commence à planer.
« Je me suis fait avorter », le séisme du manifeste des 343
Pendant que l’économie vacille, la société française est secouée par une déflagration d’une tout autre nature. Le 5 avril 1971, l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur publie un texte court, simple et d’une puissance dévastatrice : le « Manifeste des 343 ».
Dans une France où l’avortement est un crime passible de prison, 343 femmes, célèbres et anonymes, osent déclarer publiquement : « Un million de femmes se font avorter chaque année en France. […] Je déclare que je suis l’une d’elles et je déclare m’être fait avorter. » La liste des signataires donne le vertige : Simone de Beauvoir, Catherine Deneuve, Marguerite Duras, Françoise Sagan, Agnès Varda, Jeanne Moreau… En s’auto-dénonçant, elles risquent leur carrière et des poursuites pénales. Le scandale est immense. Une partie de la France crie à l’impudeur. Le journal satirique Charlie Hebdo titre « Qui a engrossé les 343 salopes ? », un surnom provocateur que les féministes s’approprieront avec défi.
Cet acte de désobéissance civile est un coup de génie. Il expose au grand jour le drame et l’hypocrisie qui entourent l’avortement clandestin. Ce manifeste est le point de départ d’une bataille politique et sociale acharnée qui aboutira, quatre ans plus tard, au vote de la loi sur l’interruption volontaire de grossesse portée par Simone Veil. En 1971, ces 343 femmes ont changé l’histoire.
Le look 70’s, une explosion de couleurs et de formes
Si les sujets de société sont graves, le style vestimentaire, lui, est exubérant. En 1971, le look des années 60 est totalement démodé. Une nouvelle silhouette, unisexe et audacieuse, s’impose dans la rue.
Le vêtement roi est sans conteste le pantalon à pattes d’éléphant, ou « pattes d’eph ». Moulant sur les cuisses, il s’évase généreusement à partir du genou. Il se porte avec des chaussures à plateformes, qui peuvent atteindre des hauteurs vertigineuses. En haut, la mode est aux chemises cintrées à col « pelle à tarte » (des cols immenses et pointus) et aux sous-pulls côtelés en matières synthétiques, souvent portés très près du corps.
Mais ce qui frappe le plus, c’est la palette de couleurs. C’est le triomphe absolu de l’orange, du marron, du vert avocat et du violet. Ces teintes s’affichent partout, sur les vêtements, mais aussi sur les murs des appartements, recouverts de papier peint à motifs psychédéliques, et sur les objets en plastique moulé qui envahissent les intérieurs. Avoir un téléphone orange et des chaises en plastique marron, c’est le comble de la modernité.
La bande-son d’une nouvelle époque
La musique aussi a mûri. Les chansons insouciantes du yé-yé semblent bien lointaines. L’année 1971 est marquée par un album qui est une œuvre d’art à part entière : l’Histoire de Melody Nelson de Serge Gainsbourg. Ce disque conceptuel, court (moins de 28 minutes), arrangé par Jean-Claude Vannier, est un chef-d’œuvre de pop orchestrale, sombre et poétique. Il ne rencontre pas un succès commercial immédiat, mais son influence sur la musique française sera colossale.
La scène française est dominée par des artistes à l’univers plus personnel et affirmé. Michel Polnareff continue de provoquer avec ses tenues et ses chansons, Julien Clerc séduit la jeunesse, tandis que Michel Sardou s’impose avec des titres polémiques. C’est aussi le début de la carrière de nouvelles voix féminines comme Véronique Sanson. La chanson française est devenue plus introspective, plus audacieuse.
La Citroën SM, l’OVNI automobile
Chaque époque a ses voitures emblématiques. Après la 4L populaire de 1961, l’année 1971 est symbolisée par un véritable objet roulant non identifié : la Citroën SM. C’est une voiture d’exception, un coupé grand tourisme au design futuriste, œuvre de Robert Opron. Son long capot abrite un puissant moteur V6 fourni par l’italien Maserati (alors propriété de Citroën).
Elle est dotée de technologies d’avant-garde comme la suspension hydropneumatique, qui lui confère un confort et une tenue de route légendaires, et une direction à rappel asservi. Conduire une SM, c’est piloter un vaisseau spatial. C’est la voiture du Président Georges Pompidou, des patrons et des vedettes. Elle incarne le savoir-faire et l’ambition de l’industrie française. Mais ce rêve a un prix. Chère, complexe, gourmande en carburant, elle sera l’une des premières victimes du choc pétrolier de 1973. La SM est le symbole parfait de cette année 1971 : un rêve de futur et de performance né juste avant la fin d’une époque d’insouciance.
En définitive, 1971 n’est pas une année comme les autres. C’est une porte qui se ferme sur une époque et qui s’ouvre sur une autre, plus incertaine mais aussi plus libre. C’est l’année où des combats essentiels ont été menés au grand jour et où un style unique, aujourd’hui iconique, est né.
FAQ – Foire aux questions sur l’année 1971
Qu’est-ce que le « Manifeste des 343 » ? C’est une pétition publiée le 5 avril 1971 dans Le Nouvel Observateur. Dans ce texte, 343 femmes françaises déclaraient avoir eu recours à un avortement, s’exposant ainsi à des poursuites pénales. Cet acte de désobéissance civile a été un événement fondateur dans la lutte pour le droit à l’avortement en France, qui a abouti à la loi Veil en 1975.
Pourquoi l’année 1971 marque-t-elle un tournant économique ? 1971 marque un tournant car le 15 août, le président américain Nixon a mis fin à la convertibilité du dollar en or. Cette décision a fait voler en éclats le système monétaire international stable depuis 1944 (accords de Bretton Woods) et a inauguré une période d’instabilité économique, d’inflation et de chômage qui a mis fin à la période de forte croissance des « Trente Glorieuses ».
Encore à savoir sur l’année 1971 en France
Quelles étaient les pièces incontournables de la mode en 1971 ? Les pièces maîtresses étaient le pantalon à pattes d’éléphant (pour hommes et femmes), la chemise à col « pelle à tarte », le sous-pull moulant en matière synthétique et les chaussures à semelles compensées ou plateformes. Le tout dans des couleurs vives comme l’orange, le marron et le vert.
Quel album de Serge Gainsbourg a marqué l’année 1971 ? C’est l’album-concept Histoire de Melody Nelson. Bien qu’il ne soit pas un grand succès commercial à sa sortie, il est aujourd’hui considéré comme l’un des albums les plus importants et influents de la musique française. Notamment pour son ambition artistique, ses arrangements orchestraux et son atmosphère unique.
La télévision était-elle en couleur pour tout le monde en 1971 ? Non. La couleur est arrivée en France en 1967, mais en 1971, les téléviseurs couleur sont encore très chers et peu répandus dans les foyers. La majorité des Français regarde encore la télévision en noir et blanc sur l’une des deux chaînes de l’ORTF. Posséder une TV couleur était encore un marqueur de statut social élevé.
