Apple Macintosh de 1984 : l’ordinateur qui souriait

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Nous sommes en 1984 qui est aussi l’année du lancement du Apple Macintosh, une révolution dans le monde de l’informatique personnelle. En France, l’informatique personnelle est une affaire d’initiés. Le Minitel commence à peine sa conquête des foyers, offrant un univers textuel en 80 colonnes. Dans les écoles, le plan « Informatique pour Tous » installe des Thomson MO5 et TO7. Leurs interfaces graphiques sont rudimentaires et le langage de prédilection est le BASIC. Pour les professionnels, le standard est l’IBM PC (ou ses clones), une machine sérieuse, puissante, mais austère. Son écran vert ou ambre vous accueille d’un laconique C:\>. Vous devez commander la machine, lui parler dans son dialecte fait de dir, copy et format. L’informatique est un outil de travail, pas un plaisir.

Puis, cet objet arrive. Il ne ressemble à rien de connu. C’est une boîte beige, verticale, compacte, presque mignonne, avec une poignée sur le dessus. Vous l’allumez. Il ne bipe pas agressivement. Il émet un « chime », un carillon clair et amical. Vous insérez la disquette système. Après quelques secondes de « grattements », un pictogramme apparaît à l’écran : un petit ordinateur… qui sourit. Le « Happy Mac ». L’expérience Macintosh commence là. Elle ne ressemble à rien de ce que le monde a connu.

Cet article n’est pas un test technique. C’est une immersion. Nous allons redécouvrir ce que c’était, au quotidien, de posséder et d’utiliser le premier Apple Macintosh 128K en France, au milieu des années 80.

Le choc du premier contact : l’objet et son prix

Le Apple Macintosh ne s’achète pas, en 1984, sur un coup de tête. À sa sortie en France, il est proposé à un prix exorbitant. Les sources s’accordent sur un tarif de lancement avoisinant les 29 000 Francs. Pour mettre cela en perspective, le SMIC mensuel brut de l’époque est d’environ 4 100 Francs. Posséder un Apple Macintosh en 1984 revient à acheter une petite voiture neuve. Il est donc réservé aux passionnés fortunés, aux professions libérales avant-gardistes (médecins, architectes) et, très vite, aux graphistes et aux publicitaires.

Le déballage est une expérience en soi. L’ordinateur est « tout-en-un ». L’écran 9 pouces monochrome et le lecteur de disquette 3,5 pouces sont intégrés dans le châssis principal. Il n’y a pas d’unité centrale séparée à glisser sous le bureau. Le Mac se pose sur le bureau. Il vient avec un clavier compact, au son très mécanique, relié par un câble spiralé rappelant celui d’un téléphone. Et puis, il y a cet autre objet.

La souris

Pour la majorité des Français, c’est une première. Qu’est-ce que ce boîtier en plastique beige, lourd, avec un seul et unique bouton ? On le branche. Puis, on le pose sur le bureau. Enfin, on le déplace. Et là, magie : le petit curseur (une flèche noire) bouge à l’écran en parfaite synchronisation. C’est intuitif, mais cela demande un apprentissage. Les premiers utilisateurs « cherchent » le curseur, sortent du tapis de souris, cliquent frénétiquement. Mais en dix minutes, le pli est pris. Le bras devient une extension directe de la pensée.


Un « bureau » dans un écran de 9 pouces

Le démarrage se fait impérativement depuis une disquette. Le Mac 128K n’a pas de disque dur. Vous insérez la disquette « Système » et le fameux « Bureau » (Desktop) apparaît. L’écran, bien que petit, est d’une netteté stupéfiante pour l’époque (512 x 342 pixels). Tout est graphique.

L’interface utilise des métaphores que nous connaissons tous aujourd’hui, mais qui étaient révolutionnaires en 1984. Les fichiers ne sont pas des lignes de texte dans une liste. Ce sont des icônes. Des petits dessins représentant un document ou un dossier. Pour ouvrir un fichier, on ne tape pas une commande. On « double-clique » dessus avec la souris. Le son du double-clic devient rapidement une seconde nature.

Pour ranger des fichiers, on les fait « glisser-déposer » (drag-and-drop) dans des dossiers. Pour supprimer un fichier, on le fait glisser vers l’icône de la Corbeille (Trash). L’icône se gonfle pour montrer qu’elle contient quelque chose. Pour finaliser la suppression, on va dans le menu « Spécial » et on sélectionne « Vider la Corbeille ». C’est logique, visuel et en même temps, c’est ludique.

La barre de menu, située en haut de l’écran, est une autre innovation majeure. « Fichier », « Édition », « Affichage », « Spécial ». Ces menus sont contextuels et contiennent toutes les commandes nécessaires. Plus besoin de mémoriser des raccourcis clavier obscurs. L’utilisateur est guidé, encouragé à explorer. L’informatique passe d’une science exacte à une expérience interactive. En 1984, l’Apple Macintosh ne vous juge pas. Si vous faites une erreur, une petite bombe apparaît avec un son « Boing » : c’est une erreur, mais ce n’est pas grave.


MacPaint et MacWrite : la naissance de la création numérique

Le Mac 128K est livré avec deux logiciels phares qui, à eux seuls, justifient la révolution : MacWrite et MacPaint.

MacWrite est un logiciel de traitement de texte. Mais il introduit un concept qui va tout changer : le WYSIWYG (What You See Is What You Get « . Ce que vous voyez est ce que vous obtenez »). Avant le Mac, pour mettre un mot en gras sur un PC, il fallait taper des codes de contrôle (comme ^B) autour du mot. Le résultat n’était visible qu’à l’impression. Avec MacWrite, vous sélectionnez le texte à la souris, vous allez dans le menu « Style », vous cliquez sur « Gras ». Le mot apparaît en gras à l’écran, instantanément.

Vous pouvez changer les polices de caractères (les fameuses « fonts »). Par exemple,vous passez de « Geneva » à « New York » (des noms de villes, quelle idée !), de « Monaco » à « Chicago ». Vous pouvez centrer le texte, changer la taille des caractères. Et même, vous composez votre page visuellement. Pour l’utilisateur de 1984, c’est de la sorcellerie. On imprime (sur l’imprimante matricielle ImageWriter, qui reproduit fidèlement l’écran) et le résultat est exactement ce qu’on avait sur le moniteur.

Et le dessin aussi sur l’Apple Macintosh de 1984

MacPaint est l’autre pilier. C’est un logiciel de dessin. Mais il est si intuitif qu’il transforme n’importe qui en artiste numérique. La « boîte à outils » sur le côté de l’écran est une merveille d’ergonomie :

  • Le crayon pour dessiner à main levée.
  • Le pinceau, avec différentes formes de brosses.
  • Le pot de peinture pour remplir des zones.
  • L’aérosol (la « bombe de peinture ») pour un effet texturé.
  • Le « lasso » pour sélectionner des formes irrégulières et les déplacer.
  • La gomme pour effacer.

Les utilisateurs passent des heures sur MacPaint. Ils créent des faire-part, des affiches pour l’association du quartier, des plans. Ils découvrent le « zoom » pour travailler au pixel près. MacPaint démocratise la création graphique. Le Mac n’est plus seulement un outil de productivité, c’est un outil de créativité.


Le quotidien d’un pionnier : 128K de RAM et le « jonglage » de disquettes

Vivre avec le Mac 128K, c’était aussi vivre avec ses limitations. Elles étaient extrêmes, même pour l’époque. La plus dure ? Ses 128 Kilo-octets de mémoire vive (RAM). C’est si peu que le système d’exploitation en occupe la majorité. Il est impossible de faire tourner MacWrite et MacPaint en même temps. Pour passer de l’un à l’autre, il faut quitter l’application, éjecter la disquette, insérer l’autre disquette, et attendre.

Mais le véritable « sport » quotidien de l’utilisateur du 128K, c’était le « jonglage de disquettes » (disk swapping). La machine n’a qu’un seul lecteur. Les disquettes 3,5 pouces ne stockent que 400K. Elles sont fiables, bien plus que les grandes disquettes 5,25 pouces souples des PC, mais elles sont petites.

Le maniement pas si simple de l’Apple Macintosh de 1984

Mettons-nous en situation. Vous voulez copier un document qui se trouve sur votre disquette « DOCUMENTS » vers une nouvelle disquette « ARCHIVE ».

  1. Vous allumez le Mac avec la disquette « SYSTÈME ». Le bureau apparaît.
  2. Vous éjectez la disquette « SYSTÈME » (en la glissant vers la Corbeille).
  3. Vous insérez la disquette « DOCUMENTS ». Son icône apparaît.
  4. Vous insérez la disquette « ARCHIVE ». Son icône apparaît. Ah, non… vous ne pouvez pas. Il n’y a qu’un seul lecteur.
  5. Bon, vous insérez « DOCUMENTS ». Vous cliquez sur votre fichier. Vous le faites glisser sur le bureau. La machine copie le fichier dans sa précieuse (et minuscule) mémoire RAM.
  6. Vous éjectez « DOCUMENTS ».
  7. Vous insérez « ARCHIVE ».
  8. Vous faites glisser le fichier du bureau vers l’icône « ARCHIVE ».

Et si le fichier est trop gros pour la RAM (ce qui est presque toujours le cas) ? La machine commence une danse infernale.

  1. Vous faites glisser l’icône du fichier de la disquette A vers l’icône (grisée) de la disquette B.
  2. Le Mac affiche un message : « Veuillez insérer la disquette : ARCHIVE ».
  3. Vous éjectez « DOCUMENTS ». Vous insérez « ARCHIVE ». Le lecteur copie un petit bout du fichier.
  4. Le Mac affiche : « Veuillez insérer la disquette : DOCUMENTS ».
  5. Vous éjectez « ARCHIVE ». Vous insérez « DOCUMENTS ». Le lecteur lit un autre petit bout.
  6. Le Mac affiche : « Veuillez insérer la disquette : ARCHIVE ».
  7. … et ainsi de suite.

Pour copier un seul fichier de 80K, il fallait parfois échanger les disquettes 10 à 15 fois. C’était le prix à payer pour l’interface graphique. La patience était la première vertu d’un « Mac user ». La sortie du Macintosh 512K (le « Fat Mac ») plus tard la même année, puis l’arrivée des premiers disques durs externes (hors de prix), ont été vécues comme des libérations.


Conclusion : une patience récompensée par l’avenir

Vivre avec un Macintosh 128K en 1984 était une expérience contradictoire. C’était posséder un objet d’un futur lointain, tout en étant freiné par les limitations techniques du présent. C’était être capable de dessiner et de mettre en page des documents d’une manière incroyablement moderne, mais au prix d’une lenteur et d’un « jonglage » de disquettes aujourd’hui inimaginables.

Mais le pari d’Apple était ailleurs. Le Mac 128K n’a pas été conçu pour être le plus rapide ou le plus puissant. Plus sûrement, il a été conçu pour être le plus humain. En effet, cette machine pensante a radicalement changé la relation que nous avions avec la technologie. Il a remplacé la ligne de commande (une relation de maître à esclave) par une interface graphique (une relation de partenaire).

Bien entendu, il aura fallu être un pionnier, un passionné, pour essuyer les plâtres de cette première version. Mais ce sont ces utilisateurs patients qui ont assisté, en direct, à la naissance de l’informatique personnelle moderne. Tout ce que nous faisons aujourd’hui – cliquer, glisser, fermer une fenêtre, jeter un fichier à la corbeille – a été défini et démocratisé par ce petit ordinateur beige qui souriait.


F.A.Q. : Tout sur le Mac 128K au quotidien

Q : Quel était le prix exact du Macintosh 128K en France à sa sortie ?

R : Le prix de lancement en 1984 était très élevé, se situant autour de 29 000 Francs français. Cela représentait plusieurs mois de salaire moyen (le SMIC était d’environ 4 100 Francs) et équivalait au prix d’une petite voiture, le rendant inaccessible au grand public.

Q : Pourquoi le « jonglage de disquettes » était-il si fréquent ?

R : Cela était dû à deux facteurs majeurs. Premièrement, le Mac 128K ne possédait que 128 Ko de mémoire RAM, ce qui était trop peu pour charger des fichiers volumineux ou plusieurs applications. Deuxièmement, il n’avait qu’un seul lecteur de disquette (de 400 Ko) et aucun disque dur. Pour copier un fichier d’une disquette à une autre, la machine devait lire un morceau du fichier sur la disquette source, le garder en mémoire, puis demander la disquette de destination pour écrire ce morceau, répétant l’opération plusieurs fois.

Q : Qu’apportait concrètement le « WYSIWYG » de MacWrite ?

R : « What You See Is What You Get » signifiait que, pour la première fois, l’apparence du document à l’écran était identique à ce qui sortirait sur l’imprimante. Si vous mettiez un mot en italique ou changiez la police pour « Geneva », vous le voyiez immédiatement à l’écran. Auparavant, il fallait insérer des codes invisibles qui n’étaient interprétés qu’au moment de l’impression.

Encore à savoir sur l’Apple Macintosh de 1984

Q : Le Macintosh 128K avait-il un disque dur ?

R : Non. Le système d’exploitation, les applications et les documents de l’utilisateur devaient tous tenir sur des disquettes 3,5 pouces de 400 Ko. Le démarrage de la machine se faisait en insérant la disquette « Système ». Des disques durs externes ont été proposés plus tard par des sociétés tierces, mais ils étaient extrêmement chers.

Q : Pourquoi la souris Apple n’avait-elle qu’un seul bouton ?

R : C’était une décision de design philosophique de Steve Jobs. Il estimait que plusieurs boutons (comme sur les souris du Xerox Alto qui avait inspiré le Mac) créaient de la confusion pour l’utilisateur. Un seul bouton forçait les développeurs à créer des interfaces plus simples et intuitives, basées sur des concepts clairs comme le « clic », le « double-clic » et le « clic-glissé ».